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Histoire du protestantisme dans l’Eure
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d’après André Pelcé (1934-2018) – Notes pour les Journées Européennes du Patrimoine 2017
La Réforme semble s’être propagée « normalement » dès les années 1540 dans l’actuel département de l’Eure. Le nombre des communes d’origine des réfugiés protestants à Genève de 1548 à 1560 y est aussi important, sinon plus, que dans les départements voisins. En témoignent les martyres d’un certain Pierre Souchez, qui eut la langue coupée et fut brûlé vif à Evreux en 1544, et celui de Guillaume Néel, moine augustin devenu prédicateur protestant qui subit le même sort en 1555, provoquant une mini-révolte de ses coreligionnaires.
La première Eglise fut constituée à Evreux en 1559. Elle avait un pasteur, mais ne pouvait se rassembler qu’hors les murs, sans doute dans un château des environs. Un « prêche » (ou temple) fut édifié à Caër, près de Normanville, probablement en 1592, et perdura jusqu’en 1685. D’autres Eglises ont existé aussi jusqu’au début du XVIIè siècle à Pont-Audemer, Conches, Brionne (dont le pasteur fut pendu vers 1565), Quillebeuf, Lieurey.Persécutions, convictions chancelantes ? Presque toutes ces Eglises furent éphémères et seules subsistaient un peu avant 1685 celles d’Evreux, de Pont-Audemer et de Quillebeuf.
La Révocation de l’Edit de Nantes fait disparaître brutalement ces dernières Eglises. Suit alors un extraordinaire silence de plus de 150 ans. Hormis l’affaire de Fontaine-l’Abbé en 1811 (une pétition des habitants de ce village, situé à 3 km de Serquigny, demandait le rattachement de la paroisse au… Consistoire protestant le plus proche), plus rien ne fait surface avant le milieu du XIXè siècle : le protestantisme semble avoir totalement disparu du département.
Le plus étonnant, tout au long de cette histoire, réside dans la permanence du contraste saisissant entre la situation de l’Eure et celle des départements voisins. Le hasard ne peut seul expliquer cette faiblesse extrême du protestantisme dans la région, pas plus qu’une quelconque particularité du caractère de ses habitants. La coïncidence entre les limites futures du département et celles du diocèse laisse supposer que l’action de l’Evêché d’Evreux dût être déterminante en ce domaine. Citons ici le commentaire lyrique, caricatural mais tout de même significatif de l’historien Claude Manceron (Les hommes de la liberté) :
« Flottant là-dessus, cette vieille odeur d’encens mêlée de relents d’hommes et de femmes brûlés vifs, qui fait se courber si bas les gens d’Evreux sous la crosse de leur évêque : l’Inquisition s’était attardée par ici jusqu’au début du XVIè siècle. Sous François 1er, Evreux eut le sinistre avantage d’être le siège d’une sorte d’Inquisition, dont l’action malfaisante s’étendait à toute la Normandie. Ce tribunal fanatique et sanguinaire était établi dans le monastère des Frères Prêcheurs : on y voyait encore en 1722 les prisons de l’Inquisition et le sceau dont les pères inquisiteurs scellaient leurs arrêts. C’était un morceau de cuivre ovale avec une poignée, sur lequel étaient gravés les images de Saint-Dominique et Saint-Pierre. »
A la veille de la Révolution, Evreux est une place forte du catholicisme, décrite ainsi par le même Claude Manceron : « Ce lacis de rues qui font comme des couloirs de pierres humides entre tant et tant d’édifices religieux que la ville en est quasiment obstruée. Huit paroisses et six couvents, en plus de la cathédrale, tiennent dans un mouchoir de trois cents toises carrées (environ 0,2 km2). La Réforme pouvait-elle s’épanouir dans un tel milieu ?
Une première brèche dans la place forte fut ouverte en 1844, avec l’autorisation accordée au Directeur des Forges de Navarre de construire un temple pour son personnel. Edifié dans le quartier de Saint-Germain, ce petit temple servit peu, car cette entreprise anglaise de matériel pour le chemin de fer fit rapidement faillite. L’édifice existe encore.
Les événements de Sainte-Opportune eurent infiniment plus d’importance. En 1851, l’évêque d’Evreux réunit en une seule paroisse les deux clochers de Sainte-Opportune et du Plessis-Mahiet, à 25 km d’Evreux. Mécontents de cette décision et de leur nouveau curé, les 250 habitants de Sainte-Opportune saccagèrent leur église et firent appel à des protestants d’Elbeuf. Le pasteur Henri Paumier, envoyé par le Consistoire de Rouen, vint y prêcher régulièrement avec grand succès, ses auditoires atteignant plusieurs centaines de personnes. Devant ce résultat le Consistoire installa à ses frais un instituteur évangéliste à Sainte-Opportune. Les nouveaux convertis bâtirent rapidement une chapelle, ainsi qu’une école qui reçut l’autorisation d’ouvrir en 1864.
Presqu’en même temps et tout près, à Fumechon (commune d’Ecardenville-la-Campagne), une famille convertie fit quelques émules. La communauté ainsi créée bâtit également un temple. En 1870 ces deux communautés regroupaient 165 fidèles, chiffre considérable puisque le département dans son ensemble comptait alors moins de 200 protestants. Elles allaient par la suite permettre l’apparition de l’Eglise Réformée d’Evreux, puis perdre progressivement leur substance jusqu’à disparaître complètement après 1940.
Le 9 mars 1873, dans une salle gracieusement prêtée par M. Lepouzé, maire d’Evreux, le pasteur Rolland célébrait un premier culte à Evreux. De simple annexe de Sainte-Opportune, avec une quinzaine de membres, la petite communauté d’Evreux va rapidement évoluer :
– Le 16 novembre 1873, création d’un « comité » (conseil presbytéral avant l’heure) composé d’un président, d’un trésorier, d’un secrétaire et de deux autres membres ;
– Le 15 janvier 1874, l’Eglise d’Evreux-Sainte-Opportune est rattachée directement à la Société d’Evangélisation de Normandie ;
– En juin 1874, un local est loué pour servir de temple au 15 rue du Lycée (aujourd’hui rue Jean Jaurès)
Ainsi, à partir de 1901 va commencer le déclin de la communauté de Sainte-Opportune au profit de celle d’Evreux, qui comptera 96 membres cotisants en 1932, pour 500 protestants recensés dans tout le secteur. Les pasteurs qui se sont succédés jusqu’en 1932 ne cessèrent jamais de rassembler les protestants sur 4 lieux de culte et d’assurer l’éducation religieuse des jeunes et des enfants.
Albert Finet, pasteur à Evreux jusqu’en 1932, écrivait : « L’isolement dans lequel vivent les disséminés est très déprimant. Perdus au milieu d’une population catholique, ils ont fort à faire pour ne pas se laisser entamer par l’ambiance et de garder une foi qui reçoit si peu de l’extérieur. Que dire de la jeunesse que guette le mariage mixte qui tourne presque toujours à l’indifférence religieuse ? »
Dans les années qui vont de 1940 à 1946, la communauté va devoir faire face à de graves problèmes matériels et financiers. Le temple, situé dans la nouvelle rue Jean Jaurès, sérieusement endommagé une première fois par le bombardement de Juin 1940, fut totalement détruit par le bombardement allié du 12 juin 1944. Fin 1945 une chapelle en bois, don du Conseil Œcuménique des Eglises, fut montée le long du Pré du Bel-Ebat et servit de temple et de sacristie.
La construction d’un nouvel ensemble paroissial va être envisagée dès 1948, et sa construction commença en 1953. La cérémonie de pose de la première pierre eut lieu le 10 mai 1953 en présence du pasteur Daniel Lauverjat et de nombreuses autorités de la ville et du département. L’inauguration eut lieu le 26 juin 1955. En 1952, la paroisse d’Evreux avait quitté la Société d’Evangélisation de Normandie pour prendre son indépendance au sein de l’Eglise Réformée de France. Elle porte aujourd’hui le nom d’Eglise protestante unie à Evreux et dans l’Eure.